Chasse au thé : Île de Shikoku

Shikoku zairai tea sakawa kurohara kochi

A LA RECHERCHE DU THÉ DE TOSA

Kōchi, île de Shikoku

Le thé autrefois bien connu de la préfecture de Kōchi est en train de disparaître. Sur l'île de Shikoku, peut-être plus qu'ailleurs au Japon, la population vieillissante peine à maintenir son artisanat. Le marché ne cesse de se rétrécir chaque année et ce qui reste de la jeunesse sur l'île ne montre aucun intérêt à essayer de le revitaliser. Être cultivateur de thé à Shikoku est un travail difficile et rapporte très peu d'argent. Néanmoins, il reste tout de même quelques agriculteurs motivés qui se battent bec et ongles pour maintenir leur métier en vie.

Trouver des producteurs de thé sur Shikoku s'est avéré être tout un défi. J'ai entrepris cette chasse en n'ayant aucune idée de l'endroit où les trouver, sauf quelque part dans la préfecture de Kōchi ("Tosa", comme dans Tosa cha, est l'ancien nom de la préfecture de Kōchi). J'ai donc activé la vue satellite de Google Maps, ai repérer quelques plantations de thé et les ai marqué sur ma carte. J'ai bien trouvé quelques jardins éparpillés dans es villages mais après une journée à chercher, très peu de thé à acheter ou à goûter. Vendre du thé ici est trop difficile, donc la plupart des agriculteurs ne s'en soucient pas. Ils apportent simplement leurs feuilles à l'usine JA ("Japan Agriculture") la plus proche et les laissent s'en occuper. En échange, l'association leur donne de l'argent. À peine plus que rien.

Un fermier me conduit à un autre, et celui-ci à un autre et à un autre, et à un moment donné, quelqu'un me dit qu'il y a une usine privée (NON gérée par JA) dans un village voisin. J'ai J'ai trouvé ma première piste juste avant la tombée de la nuit.

Grimpant et descendant les montagnes en suivant les sentiers, je chasse littéralement le thé. Cela donne du sens à mon travail. J'aime ce genre d'aventure et l'idée de contribuer ne serait-ce qu'un tout petit peu à revitaliser cette industrie en difficultée me motive. Mais nous sommes au milieu de la Golden Week (une semaine fériée) et je n'ai aucun plan ni réservation nulle part. Tout est réservé, partout. Pas d'autre choix que de camper sur une plage publique. La nuit est fraîche, la nourriture est froide mais mon cœur est chaud. 

Demain, la chasse continue.

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 ikegawa tea garden niyodogawa kochi shikoku

 

Ikegawa, île de Shikoku

La rivière Niyodo ("Niyodogawa") dans la préfecture de Kōchi est connue pour être l'une des rivières les plus propres du Japon. Des gens de partout au pays viennent ici en vacances pour pagayer ou camper sur ses rives. Assez de monde en tout cas pour tenir un café rentable vendant du thé local et des confiseries. C'est là que l'histoire devient intéressante. Ces thés ne proviennent pas de la grande usine JA du village. Les usines JA opèrent à très grande échelle et celle-ci, comme les autres, s'occupe principalement de vendre du thé en gros volumes à d'autres marchés. Non, ce thé provient d'une petite usine et est étiqueté localement.

Pour être honnête, cette quête du thé de Tosa s'avère plutôt triste. La chasse est excitante, certes, mais partout où je fouille, les signes pointent vers une industrie en voie de disparition dans ces régions rurales du Japon. Les agriculteurs âgés travaillent partout bien au-delà de la retraite et aucun d'entre eux n'a de plan de relève. Leurs champs de thé sont soit abandonnés, soit réaffectés à une industrie agricole plus rentable. 

En fait, pas partout. Certaines poches d'agriculteurs ici et là maintiennent encore une économie suffisante pour vendre leurs thés localement sans avoir à traiter avec JA. À Ikegawa, huit familles se sont réunies pour monter une coopérative agricole. Elles vendent leurs thés localement et sur d'autres marchés. Leur effort semble relativement fructueux car, pour la première fois depuis mon arrivée sur Shikoku, j'ai rencontré un jeune cultivateur de thé. Plus jeune que moi...

 Ikegawa tea factory coop shikoku

 

Le thé produit à Ikegawa est doux et légèrement umami, presque dépourvu d'amertume. À bien des égards, il semble partager l'esprit du village. Chaque producteur à qui je me suis adressé, chaque employé de l'usine, même les deux résidents à qui j'ai dû demander mon chemin, tous m'ont répondu avec un sourire. C'est à coup sûr le premier thé de Tosa que je rapporterai à la maison. Je me suis contenté d'un sencha doux et élégant (Yabukita) et d'une quantité très limitée de Kabusecha (il y a littéralement une seule parcelle de jardin utilisée pour faire du thé ombragé dans le village). Et j'ai tellement hâte de le partager.

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Shikoku tea fields zairai kochi sakawa kuruhara

 

Kurohara, île de Shikoku

À Kurohara, où vit Okabayashi-san, il n'y a pas si longtemps, il y avait plus de 100 acres de plantations de thé. Aujourd'hui, il reste moins de 10 acres. Okabayashi-san en possède environ 3. 

Le thé autour de Niyodogawa (la ville portant le même nom que la rivière) est entièrement transformé à l'usine locale JA ("Japan Agriculture"). Okabayashi-san dirige l'association locale d'agriculteurs qui l'utilisent pour gagner leur vie. Et il est le seul à ne pas vendre toute sa production à JA. Il garde environ 2/5 de ce qu'il peut récolter et essaie de le vendre lui-même. 

Vendre du thé est la partie la plus difficile du métier de producteur de thé au Japon. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, produire du thé de qualité est plus facile que de le vendre. Le marché des buveurs de thé est devenu si petit que quiconque n'a pas les compétences ou l'énergie nécessaires pour vendre par lui-même doit passer par JA. Et JA ne paie pas bien. Pas bien du tout...

 

Okabayashi-san tea garden zairai shikoku

 

Okabayashi-san travaille avec sa femme pour vendre leur thé partout où ils le peuvent. Aux sites touristiques et aux cafés locaux, aux supermarchés et à quiconque semble assez perdu pour mettre les pieds à Kurohara. Sa femme vivait à Kyoto et est professeure certifiée de senchado ("la voie du sencha"). Un savoir-faire rare dans ces régions. Et ils produisent des thés d'origine unique. Honnêtement, quelles sont les chances ?

Okabayashi-san produit non seulement d'excellents sencha (ils le sont vraiment), mais il aime aussi explorer d'autres types de transformation comme le thé ombragé (kabusecha), le thé noir et le thé oolong. Je n'ai pas encore tout goûté mais ce que j'ai essayé était impressionnant. Okabayashi-san a des jardins dans les montagnes et dans les plaines, mais comme il est maintenant âgé et que la main d'oeuvre est excessivement rare, il se concentre principalement sur les thés de plaines. Avec des machines modernes, ils sont beaucoup plus faciles à produire. Néanmoins, il continue de récolter du thé de montagne. Chaque année un peu moins que l'année précédente. Dommage, dit-il, car il y a d'excellents thés qui peuvent être fabriqués à partir des arbres Zairai en haut des pentes. "Mais ça n'en vaut plus la peine. C'est triste car les arbres ont été plantés par mon grand-père en 1932 et leur goût est si unique." 

Attends, quoi?

 

Quand j'ai dit que cette quête du thé de Tosa était un peu triste, c'est ce que je voulais dire. Des théiers de montagne de 91 ans cultivés en graines sont laissés à l'abandon parce qu'ils ne valent plus la peine. Okabayashi-san a proposé de venir voir les arbres avec lui. Il va faire une récolte de plus cette année mais ce sera probablement la dernière. Ma chasse au thé se transforme en archive historique...

 

Tea hunting Shikoku Youtube
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