Sur l'entreposage du thé pu-erh

L'environnement dans lequel est laissé à vieillir un thé Pu-erh a un impact majeur sur son évolution dans le temps.

Ceci est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de vieux ou de très vieux Pu-erh parce que plus le temps de stockage est long, plus son influence sur le goût est grande et plus les différences deviennent apparentes.

La photo en tête de cet article présente trois thés (des Pu-erh sheng d'âges similaires) conservés dans des types de stockage très différents.

Le premier thé (à gauche) est un Changtai 2002 Yi Chang Hao vieilli en entreposage traditionnel à Hong Kong, un standard sur le marché chinois. Au milieu, un tuocha de 2002 (de la fabrique de Feng Qing) conservé en entreposage traditionnel dans le Yunnan jusqu'en 2014 avant d'être mis au sec dans notre cave. Nous l'utilisons comme référence pour nos conditions de vieillissement depuis des années. Le dernier (à droite ) est un maocha de 2004 en provenance de Da Xue Shan conservé en entreposage sec depuis sa production.

Comme le montre la couleur des infusions (voir aussi plus bas), leur goût et leur profil aromatique diffèrent largement. La vitesse à laquelle « fermentent » les thés Pu-erh, ou la vitesse à laquelle vieillissement les feuilles, dépend du niveau d'humidité et de chaleur dans lequel ils sont stockés. Plus le milieu est chaud et humide, plus la transformation est rapide. Placées en conditions humides, les bactéries responsables du vieillissement s'épanouissent sans concurrence et accélèrent le processus. La différence entre les niveaux de fermentation de nos trois exemples s'explique par la variation d'humidité ambiante et de température moyenne annuelle entre leurs milieux d'entreposage, plus élevées à Hong Kong qu'au Yunnan, et plus élevées au Yunnan qu'en Amérique du Nord.

Le défi lorsqu'on tente d'accélérer le processus de vieillissement du thé en l'entreposant en milieu humide est d'arriver à maintenir sur les feuilles une diversité bactérienne intéressante, car c'est cette diversité qui lui permettra de garder une certaine complexité aromatique durant son évolution. Les thés vieillis trop rapidement et de manière trop agressive ont tendance à rester très simples au niveau de leurs saveurs, de leur texture ou de leurs arômes. Le ralentissement de la fermentation et les variations saisonnières naturelles des conditions du milieu entrainent une concurrence cyclique entre les bactéries qui reste importante pour créer ou maintenir la complexité du thé. Il faut aussi ici souligner la distinction entre l'entreposage dit TRADITIONNEL et l'entreposage HUMIDE (« wet storage »). L'entreposage humide fait référence à un milieu dont les conditions ont été poussées au-delà des niveaux d'humidité/température naturelle du climat (pourtant déjà élevés) pour accélérer encore plus le processus de vieillissement. Cela peut rappeler le Wo Dui (« l'empilage­­­ » — le processus de transformation des pu-erh shou), mais sans être poussé aux mêmes extrêmes. L'entreposage traditionnel ne signifie pas qu'aucune mesure n'est prise pour influencer la température et l'humidité ambiantes, mais il vise plutôt à les stabiliser et à les ajuster au lieu de les augmenter. Équilibrer le vieillissement traditionnel est un art en soi. Les marchands de thé de Hong Kong sont très adroits dans ce domaine, souvent aussi habiles que les fromagers peuvent l'être avec leur fromage ou les distilleurs avec leur whisky.

Côté goût, le thé en entreposage traditionnel est le plus terreux des trois, offrant en bouche les sensations les plus douces et les plus apaisantes. Pas d'amertume ou presque. Le stockage mixte présente le profil le plus complexe et le plus charnu. Son caractère reste plutôt rustique malgré une dizaine d'années passées en entreposage traditionnel. Le thé stocké en milieu sec a conservé au fil du temps des arômes relativement similaires à ses arômes d'origine, tout en ayant lentement développé une structure tannique exquise, quelque chose de soyeux et d'intense avec une astringence particulièrement douce.