Décrire le goût - partie 1

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Décrire les arômes d'un thé peut parfois s'avérer difficile. Qu'il s'agisse de dresser un portrait générique pour initier un nouveau buveur ou de tenter d'identifier avec précision chaque note et chaque nuance repérée au cours d'une séance de dégustation, il n'est jamais aisé de transmettre adéquatement par le langage l'expérience sensorielle qu'un thé peut procurer. Néanmoins, les mots restent difficiles à éviter si l'on cherche à partager une expérience gustative. Qu'il s'agisse d'acheter, de vendre ou simplement de discuter d'un thé, on n'a souvent d'autre choix que de faire affaire à eux.

Cet article présente quelques lignes directrices que j'aime garder en tête lorsque j'essaye de parler ou d'écrire sur le thé, quelques conseils qui peuvent nous aider à naviguer le labyrinthe du langage.

Choisir le bon langage

erosion sheng pu-erh 1997

La première chose à considérer, bien sûr, est à qui l'on s'adresse, car les mots ne véhiculent un sens que dans la mesure où ils sont compris. Choisir un langage adéquat sur lequel poser les bases communes nécessaires à la compréhension implique de prendre en considération son interlocuteur. L'utilisation de termes techniques peut très bien fonctionner lorsqu'on s'adresse à un connaisseur ou à quelqu'un qui travaille dans l'industrie, mais ils ne sont pas exactement adaptés pour le néophyte.

Il est important de garder à l'esprit qu'il y a un niveau de langage approprié à chaque situation. On comprendra aisément que plus le vocabulaire est simple, plus les choses sont faciles à comprendre et à imaginer. Avez-vous déjà posé une question en quincaillerie et senti que la réponse reçue était excessivement compliquée et inutilement remplie de mots incompréhensibles ? C'est un peu le sentiment qu'on essaye d'éviter ici. Celui-là et son opposé qui survient lorsqu'on utilise des termes trop génériques pour répondre à une question plus technique. Pour avoir le sentiment d'être bien compris, l'idéal est de communiquer sur un même niveau de complexité.

Lorsqu'il s'agit de décrire un thé, j'essaye toujours d'inclure ses arômes primaires ainsi qu'une partie de ses arômes secondaires. Cela peut paraitre évident, mais il est très facile d'omettre de mentionner les arômes primaires qui restent assez génériques dans l'ensemble, apportent peu de précision et ont tendance à se répéter régulièrement à travers les thés d'une même famille. Souligner qu'un sencha est herbacé ou végétal peut sembler redondant, voire inutile pour quiconque connaît le thé vert japonais, mais décrire un sencha comme fruité ou floral sans mentionner son caractère herbacé peut finir par semer la confusion chez les amateurs moins familiers. Pire encore, cela peut les mener à juger une description inexacte, car elle ne correspond pas à ce que leurs papilles ont identifié.

Règle générale, il est prudent de dire qu'on peut s'adresser aux buveurs moins expérimentés avec un langage plus générique axé sur les arômes primaires, tandis qu'un langage plus complexe axé sur les arômes secondaires convient mieux aux amateurs aguerris. Sans interlocuteur précis, un heureux mélange entre les registres permet d'atteindre sans trop de risque l'ensemble de cet éventail.

Établir le contexte

 

Parler de thé, c'est surtout partager des expériences. Bien sûr, la dégustation est au centre de ce partage, mais il y a bien plus : expériences culturelles, voyages, rencontres, découvertes, petites épiphanies peut-être… La mise en contexte permet de poser les bases nécessaires à de tels échanges.

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Voyez-là comme d'une mise en scène pour un film ou un livre : le contexte sert de cadre de référence pour mieux comprendre et communiquer des idées. Il relie le sujet, l'auteur et le spectateur en leur donnant des bases communes sur lesquelles bâtir leur expérience.

Le contexte peut être éducatif et divertissant en lui-même. Partager l'origine d'un thé, sa valeur culturelle ou la spécificité de son terroir nous permet non seulement d'en approfondir la compréhension, mais aussi d'enrichir nos connaissances pour faciliter les échanges futurs.

Établir le contexte est aussi pour moi un moyen de rencontrer mes lecteurs. En présentant mes thés, c'est un peu moi-même que je présente. Mes descriptions parlent de mes choix, de qui je suis en tant qu'importateur et de ce que j'aime en tant que buveur. Ils révèlent mes préférences en termes de cultivateurs et de producteurs, en termes d'éthique de travail. Il y a toujours tant à dire sur chaque thé parce que leur expérience va bien au-delà du goût.

Utiliser des associations

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Malheureusement pour nous, il n'y a jamais de terme précis qui décrirait avec précision le profil aromatique d'un thé. Aucun mot n'existe pour nommer le goût complexe d'un sencha ou d'un thé pu-erh. Toujours, il faut se référer à d'autres termes établis pour encadrer et suggérer l'idée de leur goût. Je peux dire par exemple que ce thé goûte les pommes, le foin et les algues, ou je peux utiliser des catégories plus larges qui regroupent plusieurs idées simples à la fois, comme fruité ou terreux. mais dans l'ensemble, le thé ne goûte jamais exactement ni seulement ça.

Faute de meilleurs moyens, nous n'avons d'autre choix que d'essayer de définir le goût complexe d'un thé en utilisant des associations, en désignant d'autres références aromatiques dans l'espoir de créer une sorte de réseau sémantique qui décrirait correctement notre expérience. Bien sûr, le thé n'a pas le même goût que les algues ou le melon, mais en associant ces deux idées l'une à l'autre, en les plaçant côte à côte, on peut espérer créer entre et autour d'elles un espace qui suggérerait le goût du thé.

Le problème lorsqu'on utilise des associations, c'est qu'elles se construisent comme un casse-tête imaginaire. Chaque pièce est donnée séparément et il faut les assembler pour former une image. Simplement étalées sur la table, elles donnent une bien mauvaise idée du portrait final. Pour un assemblage clair et facile, on peut se limiter à peu de pièces, mais on risque alors une image trop simple. Ajouter des pièces permet d'évoquer une image plus complexe et peut-être plus juste, mais la difficulté de les assembler embrouille souvent la tâche. Trop ou trop peu décrire rend le goût impossible à imaginer.

À bien des égards, il est important d'aérer une description, de laisser suffisamment d'espace pour que le lecteur puisse s'y insérer et remplir les blancs. Le langage ne nous permet malheureusement que de suggérer. Il en est nécessairement du ressort de l'interlocuteur de former l'image finale. Pour revenir à la métaphore du casse-tête, empiler les pièces les unes sur les autres rend l'assemblage beaucoup plus difficile que si elles sont posées et espacées sur la table. Cet espace entre les pièces ou entre les éléments d'une description invite en quelque sorte à assumer le rôle d'assembleur et à dessiner soi-même le tableau.

Un bon moyen de créer de l'espace dans une description est de l'imager. De l'imager verbalement, j'entends. Décrire un thé Darjeeling First Flush comme étant frais et floral, avec des arômes de foin, de pissenlits et de miel de trèfle est un peu moins intuitif que de le décrire comme ayant le goût d'un champ de fleurs sauvages. L'image du champ de fleurs fait non seulement ressortir dans l'esprit les éléments clés de cette description, mais elle donne également la marge de manœuvre nécessaire pour assembler l'image et compléter le portrait aromatique. Les images apparaissent souvent plus vivement et plus clairement que les éléments disjoints d'une description, car elles suggèrent l'espace qui les lie.

Rythme

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Tout ne se dévoile pas d'un coup lors de la dégustation du thé. L'expérience gustative se déroule nécessairement au fil du temps et nous pouvons facilement identifier quelques instants qui méritent une attention particulière. Il y a des moments avant et après la dégustation à proprement parler qu'il peut être intéressants d'observer. Les précisions saisonnières, par exemple, ont un impact non négligeable sur la façon dont les lecteurs imaginent la fraîcheur ou la sensation de réconfort. Les éléments contextuels dans l'ensemble remplissent bien ce rôle. Prenez le temps de jeter un œil à l'emballage de votre thé, parlez des feuilles sèches, de leur visuel, du type de récolte dont il s'agit. Mentionnez l'impression que le thé vous a laissée, s'il vous a réveillé ou calmé… la dégustation n'est jamais qu'une question de papilles.

Mais même lorsqu'il s'agit de parler de goût, rappelons-nous que tout ne se déroule pas en même temps. Enchainer une à une les notes aromatiques a souvent moins de sens que de simplement souligner leur structure, d'indiquer comment elles se présentent et évoluent. Cela s'éclaircit aisément avec la pratique des techniques d'infusion comme le gong fu cha ou le senchado qui rythment la dégustation par une succession d'infusions répétées, mais même dans une simple gorgée, le goût se déploie progressivement. La perception des arômes dans la bouche se sépare en 3 phases distinctes : l'avant-bouche, le développement et la finale (ou arrière-goût). Les arômes avec une forte présence en avant-bouche peuvent ne pas nécessairement se prolonger dans la finale. De même, de subtiles notes florales attendent peut-être que le rugissement des tanins s'estompe avant de se révéler tranquillement. La danse aromatique du thé peut être assez difficile à suivre étape par étape. Parfois, la meilleure description sera celle qui observe simplement le mouvement général en laissant les arômes tracer leur chemin dans l'esprit.

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