Exposition : Anton Filonov
BELGOROD, RUSSIE
« J'ai commencé par faire des choses simples. Des tasses à thé et des pichets, surtout. Mais dès mes débuts, je savais que je ne ferais que des objets de thé. Je n'ai pas d'autre source de revenu. je ne fais que cela et me développe en ce sens. »
« Je suis né dans une ville du nord appelée Inta, près des montagnes l’Oural polaire. C’est une petite ville construite durant l’Union soviétique pour exiler les prisonniers politiques. Vous avez peut-être déjà entendu le terme goulag. Les gens ici vivaient principalement des mines de charbon. Il y avait beaucoup de mines à Inta et tous les membres de ma famille (parents, grands-parents, oncles, tantes, etc.) ont travaillé dans ces mines. Aujourd’hui, les mines sont fermées et la ville traverse des moments difficiles. On n’y produit plus rien et les gens abandonnent lentement l’endroit.
À 40 kilomètres d’Inta, il y a une grande réserve naturelle appelée « Yugid Va ». Le nom vient de la langue Komi et se traduit par « eau claire ». Elle est sous la protection de l’UNESCO. Sa nature est pure et étonnante, véritable beauté nordique. Mais Inta elle-même est située dans la toundra où le sol gel à l’année. Il n’y a rien d’autre que des marais.
J’ai obtenu mon diplôme de la meilleure école d’Inta où j’ai généralement reçu une bonne éducation, bien que j’ai gradué avec une moyenne de C. J’ai étudié l’Anglais et le Français. Après avoir terminé l’école, je suis allé ailleurs faire mes études supérieures, comme tout le monde. La ville où j’ai déménagé s’appelle Belgorod et se trouve à seulement 40 km de la frontière ukrainienne, dans le sud-ouest de la Russie. Dans cette région, la terre est complètement différente de l’endroit où j’ai grandi. Il y a des collines de craie blanche partout qui ont donné son nom à Belgorod (litt. " ville blanche "). À Belgorod, j’ai vu le printemps pour la première fois. J’ai vu des arbres à fleurs comme des cerisiers, des pommiers et des abricotiers. C’était inoubliable pour moi. Le climat ici est complètement différent d’où je viens. Je vis à Belgorod depuis plus de dix ans et je m’y suis habitué un peu. Je me suis habitué aux gens qui sont aussi très différents des gens d’Inta. À Belgorod, j’ai rencontré des amis avec qui je partage beaucoup d’intérêts. Nous buvons du thé, sortons dans la nature, utilisons nos mains pour construire des choses, chantons sur le bord du feu et nageons nus dans la rivière. Je suis reconnaissant envers le destin d’avoir placé de telles personnes autour de moi.
J’ai déménagé à Belgorod parce que ma grand-mère avait un appartement là-bas. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire ou de qui je voulais être. J’ai étudié la gestion d’entreprise. Peut-être que ce n’était pas le meilleur choix, mais il m’a amené là où je suis maintenant. Même si je savais que ce n’était pas ce que je voulais faire, j’ai néanmoins obtenu mon diplôme de l’université avec mention. Mais après l’obtention du diplôme, lorsque j’ai dû chercher un emploi, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. À cette époque, je m’intéressais beaucoup au tatouage. C’était une industrie en plein essor, et j’ai essayé de m’y creuser une place. J’ai tatoué des gens pendant environ 4 ans. La vie était dure. Les gens n’étaient pas très intéressés par mes idées. La plupart n’avaient pas assez d’argent pour des pièces intéressantes et je ne voulais pas copier le travail des autres ou produire en chaine des tatouages insipides. Je ne faisais pratiquement pas d’argent. En tout cas, pas assez pour vivre. En 2012, je suis entré en contact pour la première fois avec le thé et la céramique chinoise. Ça été le début d’un grand changement pour moi.
Je n'ai pas de studio à proprement parler. Je travaille à la maison, dans l'appartement de ma grand-mère. Mon four est sur le balcon. Tout ce dont j'ai vraiment besoin, c'est d'une table et de quelques étagères. Bien sûr, l'endroit est en désordre mais c'est un désordre créatif.
Un jour, lors d’un voyage à Saint-Pétersbourg, j’ai acheté dans un salon de thé un bol fait à la main et j’ai immédiatement senti que je voulais en faire un moi-même. Un ami m’a suggéré de rendre visite à cette fille qui était céramiste, mais il s’est avéré que l’apprentissage de la céramique est un long processus et comme je n’avais pas beaucoup de temps sur ce voyage, je ne suis jamais allé la voir. Mais le désir d’essayer s’est tout de même rapidement intensifié. Tatouer les gens ne répondait pas à mes attentes et après avoir regardé un peu autour, je me suis rendu compte que peu de gens faisaient des objets de thé à la main. J’y ai vu une opportunité.
Alors j’ai économisé de l’argent et acheté mon premier four. 500 $, à ce moment-là. Il était petit et n’atteignait pas de très hautes températures. J’ai commandé tous les matériaux nécessaires sur Internet, lu quelques trucs ici et là mais j’ai décidé que je préférais découvrir la céramique par moi-même. C’était très excitant pour moi.
J’ai commencé par faire des tasses. Je me suis créer un sceau et j’ai essayé de les vendre. Je voulais tout comprendre moi-même, apprendre de mes erreurs, élaborer une technique qui serait la mienne et éviter de copier les autres. Pareil lorsque j’ai commencé à expérimenter avec les théières. Mes premières étaient très mauvaises. Mais avec le temps, j’ai trouvé une méthode qui fonctionne, une technique que je travaille et améliore toujours. Je ne voulais pas prendre comme point de départ le travail d’un autre. Quand je construis quelque chose de mes mains, ce que je cherche, c’est ma propre réflexion, ma propre expérience.
L'INSPIRATION VIENT EN TRAVAILLANT, COMME L'APPÉTIT EN MANGEANT. JE LA TROUVE SOUVENT LORSQUE JE CHERCHE UNE SOLUTION À TEL OU TEL PROBLÈME.
Au début, je pratiquais le style raku. Il s’agit de tirer une pièce du four alors qu’elle est rouge-chaude et de la plonger dans la sciure de bois pour qu’elle brûle mais sans oxygène. Dans mon cas, j’opérais cette combustion dans une chaudière avec le couvercle fermé. Les effets étaient superbes, mieux que ce à quoi je m’attendais. Chaque pièce me donnait beaucoup de plaisir, mais la fumée de la combustion s’élevait comme un pilier du balcon. Mes voisins n’aimaient pas ça. J’habite au deuxième étage d’un immeuble de dix étages. J’ai dû arrêter les cuissons raku.
JE NE PEUX PAS DIRE QUE JE ME SENTES FORTEMENT INSPIRÉ PAR D'AUTRES CÉRAMISTES. MAIS J'AIME L'IDÉE QU'ILS ÉCHOUENT AUSSI PARFOIS ET CONTINUENT.
Je n’ai pas reçu de réelle éducation dans le domaine de la céramique. Je suis autodidacte. Je n’ai jamais été l’apprenti de personne et j’ai décidé dès le début que j’allais apprendre par moi-même. Tout ce que je savais en débutant, c’est que la céramique (et la poterie) est un métier ancien très important. Je savais aussi que si l’argile est chauffée à haute température, elle devient dure. C’était assez pour me mettre sur la voie. De là, j’ai suivi un chemin qui m’a toujours intéressé, un chemin rempli de mystères.
J'AIME L'ARGILE. C'EST ELLE QUI M'ENSEIGNE.
Avec l’argile, j’apprends le calme, la diligence et apprend à chercher de nouveaux chemins. L’argile est gratifiante et juste. C’est un matériau très vivant, très riche en opportunités et parfait pour mettre en œuvre de nouvelles idées. Même en faisant quelque chose d’aussi simple qu’une tasse, on peut choisir et explorer différentes argiles, différentes glaçures, textures, sculptures, peintures, et ainsi de suite ad infinitum. Cela m’attire beaucoup. Il y a toujours quelque chose à apprendre. Il faut simplement être patient.
Lors de ma dernière cuisson, j’ai fait mes théières minces et monté la température très haute. Elles ont toutes craqué. Je n’ai rien tiré de cet enfournement que des éclats et des leçons. Tout est à refaire.
La céramique m’apprend à ne pas m’énerver, à ne pas m’attacher aux choses, à faire attention et à être précis. Mais d’un point de vue plus large, je dirais que la céramique faite à la main enseigne aux gens à aimer, à accepter l’imperfection, à remarquer les détails et à penser.
Bien sûr, il existe de nombreuses différences entre la céramique artisanale et la céramique industrielle. Mais cela ne veut pas dire que la céramique industrielle est de moindre importance. En accordant une attention particulière à la quantité et à la régularité de la production, la céramique industrielle permet à tout le monde de manger dans une assiette, de boire dans une tasse, de marcher sur des tuiles ou de mettre de l’argent dans une tirelire. De plus, même si tout est réglé finement dans des usines très efficaces, il ne faut pas oublier que ce sont des gens, de vraies personnes, qui finalement mènent les étapes de cette production. La céramique faite à la main trouve son usage lorsque quelqu’un commence à chercher cette tasse très spéciale qui lui procurera une émotion unique. C’est un moment relativement rare chez la plupart des gens.
LES CÉRAMIQUES ARTISANALES NE SONT PAS FAITES POUR CONVENIR À TOUT LE MONDE. MAIS TOUT LE MONDE PEUT TROUVER UNE CÉRAMIQUE QUI LUI CONVIENT.
L’utilité de mes créations me motive. J’aime imaginer quelqu’un, quelque part, tenir une pièce en faisant attention à son toucher, en sentant sa beauté et en y trouvant une certaine harmonie. J’en conçois un sentiment spécial.
Bien que d'une importance incontestable, l'esthétique dans mon travail est toujours un peu floue. Remarque, il ne peut vraiment en être autrement puisque chacun porte en lui une conception différente de la beauté. J'essaie dans tous les cas d'aborder cette question de diverse façons, comme en essayant de nouvelles choses ou en écoutant l'opinion des gens.
Je dois ajouter cependant que l’utilité de la céramique ne réside pas seulement dans la pièce elle-même, mais aussi dans le processus de fabrication. Jouer avec l’argile est une forme de thérapie en soi. N’importe qui peut en tirer profit. Le chemin qui mène à chaque forme, à chaque objet ou sculpture, peut être direct, voir brutal, il peut naitre d’un moment de stress ou d’une nécessité particulière, ou encore être construit de manière méthodique et sophistiqué comme les pensées d’un esprit clair. L’un des aspects intéressants de la céramique c’est qu’elle transmet toujours un message, une émotion. Elle rapporte l’humeur de son créateur, raconte qui il est et comment il aborde ses moments de création. Je suis toujours intrigué par ce que mes céramiques racontent sur moi. »
ANTON FILONOV
BELGOROD, RUSSIE
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2 commentaires
Bonjour Anton continue de vivre de ta passion , ce que tu fait est remarquable et justement très différent des autres céramistes .Felicitations.
Quel artiste, quel homme intéressant. Mon travail est si différent du sien. Toutefois, on sent le même plaisir que le mien d’apprivoiser l’argile et de vivre avec les hauts et les bas que cette pâte nous offre.